« Pourquoi ne tirons-nous aucune leçon de la crise de 2008 ? »

De la naissance de la crise des subprimes le 18 juillet 2007, lorsque Bear Stearns annonça la chute de deux de ses fonds spéculatifs, jusqu’à la faillite de Lehman Brothers le 15 septembre 2008, les différents plans de relance consacrés à l’économie mondiale n’ont pas permis de sortir de la crise. Les marchés financiers continuent de s’affoler.
Le plan de relance de 700 milliards de dollars obtenu par le secrétaire américain Henry Paulson le 3 octobre 2008, la réunion du G20 du 15 novembre 2008 à Washington dans laquelle le Président français Nicolas Sarkozy voulait « refonder le capitalisme » (Cf. Le Figaro du vendredi 26 septembre 2008) et la mise sous tutelle de la Grèce par la Commission européenne le 2 février 2010 n’ont pas permis d’enrayer la crise due à deux élément clés : la spéculation de l’économie financière au détriment de l’économie réelle et l’endettement massif des pays les plus avancés comme la Grèce et les États-Unis par exemple.
C’est la version rationnelle de la crise que nous en sommes en train de vivre. Elle est faite pour nous rassurer afin que nous ne nous posions pas de questions sur la manière dont fonctionne le système ultralibéral dans lequel nous évoluons pour que la partie infime de la population la plus riche de la planète continue de s’enrichir au détriment des autres parties prenantes de la société. La version plus irrationnelle, quant à elle, nous indique quatre autres éléments clés :

  •  le premier est défendu par l’un des pères fondateurs de la finance comportementale Werner de Bondt qui explique que, dans la vie des marchés, les individus ne se comportent pas comme des mathématiciens à contrario de ce que pensent les économistes mais réagissent de manière émotionnelle ;
  • le deuxième est soutenu par la dernière analyse psycho-évolutionniste fournie par les professeurs Alan S. Miller et Satoshi Kanazawa pour lesquels notre cerveau humain n’a pas évolué depuis dix mille ans, soumis à l’instinct primitif de survie individuelle (Cf. leur livre Why beautiful people have more daughters ?) ;
  • le troisième se donne à voir déjà beaucoup plus en sourdine car il est une application de la théologie du protestantisme  américain puritain calviniste au monde des affaires selon laquelle Dieu a élu de toute éternité ceux qui travaillent pour Sa gloire et réprouvé les autres, le fait de gagner beaucoup d’argent étant le signe de la grâce de Dieu sur soi ;
  • le quatrième enfin a été mis en avant par la théorie néolibérale développée entre autres par Milton Friedman, appliquée par les États-Unis et la Grande Bretagne à travers l’idéologie du consensus de Washington et qui nous a conduits directement à la crise de 2008.

Cette théorie néolibérale, repose sur l’idée selon laquelle la satisfaction des plaisirs personnels de l’individu conduit naturellement à apporter le bien être collectif. Pour ce faire, il est absolument nécessaire de procéder à une dérégulation du marché. En laissant faire le marché, la main invisible reprise de la théorie libérale d’Adam Smith régulera naturellement les rapports entre les concurrents, les vendeurs et les acheteurs.
J’ai déjà évoqué longuement mon désaccord à ce sujet dans mon dernier livre : L’urgence éthique. Une autre vision pour le monde des affaires. J’y ai dénoncé entre autres la fallacieuse trahison de la pensée d’Adam Smith pour lequel il existe bien une main invisible qui régule naturellement les marchés à cette seule condition que l’éthique commande à l’économie et non le contraire.

Dans son ouvrage de 1759 La théorie des sentiments moraux, Adam Smith explique que cette éthique est soumise aux comportements vertueux des décideurs que sont la modération, la prudence, la justice, la maîtrise de soi et le sentiment de sympathie qui doit prévaloir dans les rapports entre le vendeur et l’acheteur.
Alors pourquoi ne tirons-nous aucune leçon de la crise de 2008 ?

Pour plusieurs raisons :

  • la première vient de ce que la poignée de milliardaire qui dirige les marchés financiers se prend pour les maîtres du monde. Le fait de gagner beaucoup d’argent serait le signe de reconnaissance qu’ils sont des élus de Dieu. Mais s’ils l’étaient vraiment, ils appliqueraient le principe de justice et de redistribution des richesses vers les plus pauvres comme il l’est demandé à travers les grands textes de sagesse spirituelle. Ce qui n’est pas le cas, au contraire ils spéculent pour gagner encore plus d’argent au détriment de l’ensemble des parties prenantes de l’entreprise.
  • la deuxième vient de ce que nous enseignons dans toutes les grandes écoles du monde entier ce business model messianique américain qui consiste à créer de la valeur seulement pour les actionnaires au détriment des autres acteurs clés des entreprises que sont les clients, les employés, les fournisseurs et les institutions de la société en général. Même si nous tentons en vain, depuis peu, d’y introduire la notion de Responsabilité Sociale de l’Entreprise.
  • la troisième vient de ce que les plus grands scandales financiers depuis le début du vingt-et-unième siècle proviennent d’entreprise dans lesquelles les dirigeants ne jouent pas avec leur propre argent mais celui des autres. Or le cerveau de l’être humain n’évoluant pas à contrario de ce que nous croyons, l’intérêt individuel prime sur l’intérêt collectif ; le bonus individuel se moque de l’intérêt général. C’est aux Conseils d’Administration en matière de gouvernance d’entreprise de régler ce problème.
  • la quatrième vient de ce que les gouvernements étatiques n’ont aucune prise sur les marchés privés des affaires. A longueur de journée, les politiques, les économistes et les médias nous expliquent qu’il faut légiférer afin de réglementer les marchés.Tous les textes de lois existent déjà, il s’agirait d’abord de les appliquer. A titre d’exemple, en matière d’éthique des affaires, les réglementations de l’Organisation de Coopération et de Développement Economique (OCDE), de l’Organisation International du Travail (OIT), de la Chambre de Commerce Internationale (CCI), la loi Sarbannes Oxley sur la transparence financière et la lutte contre la corruption…et d’autres encore comme la gouvernance d’entreprise, sont toutes en vigueur.

L’ensemble de ces raisons fait que, appliquée à l’entreprise, ce qui prime par-dessus-tout est le retour sur investissement pour l’actionnaire. Le système se nourrit de lui-même. Il s’agit d’un serpent qui se mord la queue. Si nous voulons tirer des leçons de la crise, il faut simplement que :
1. nous acceptions de manière réaliste que l’être humain n’est pas bon par nature, mais bon et mauvais par nature, sachant que le plus souvent son intérêt individuel prime au détriment de l’intérêt collectif ;
2. la justice fasse appliquer les lois existantes suivies de sanctions exemplaires lorsque celles-ci ne sont pas respectées afin de permettre la prise de conscience que l’être humain, s’il jouit de droits inaliénables grâce à la démocratie, n’en a pas moins des devoirs de responsabilité envers les autres ;
3. les conseils gouvernementaux des États et d’administration des entreprises définissent des modèles de rémunération équitable et non pas disproportionnés entre les dirigeants et les employés pour générer plus de justice ;
4. les gouvernements et les entreprises redéfinissent un modèle de gestion et d’affaire dans lequel ils établissent des modèles de leadership responsable cohérents avec des stratégies et des valeurs qui visent à la fois la performance économique, la réussite humaine et le respect des différences culturelles des pays dans lesquels ils évoluent ;
5. les Grandes Écoles qui forment très bien les futurs dirigeants à la gestion financière des organisations, développent un pan jusque là ignoré de leurs enseignements : des programmes de leadership à la mise en pratique concrète de la création responsable de valeur partenariale des organisations.
Je peux en tout cas témoigner que nos clients, à l’International Ethics Consulting Group, s’efforcent de mettre en œuvre ce type de modèle de leadership et que leurs résultats financiers n’en pâtissent pas. Bien au contraire, ils réussissent à transmettre une vision responsable des affaires et à donner un degré de confiance à leurs employés qui permettent de développer cette double performance économique et humaine.
Comme le laisse à penser José Frèches : « Sans se douter qu’elles sont entées dans une spirale suicidaire, les sociétés où le principe de plaisir a été érigé en vertu cardinale se peuplent de cigales alors même qu’elles auraient besoin de fourmis ». (Cf. Les dix mille désirs de l’empereur, XO Éditions, 2009)

3 réflexions au sujet de « « Pourquoi ne tirons-nous aucune leçon de la crise de 2008 ? » »

  1. Georges

    Nous ne tirons pas les conséquences de 2008 car l’enjeu nous dépasse.

    Nous sommes en train de changer de civilisation, je pense qu’un changement de cette taille ne doit pas être arrivé à jusque là à l’espèce humaine.

    On peut soit regarder les épiphénomènes ou bien regarder comment essayer modestement d’être acteur de ce changement.

    Georges

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  2. Georges

    Nous sommes dans un changement de civilisation. Comme souvent cela se ferra autour de cette bassine qu’est la Méditerranée, cet endroit de rencontre des trois religion du livre.

    Des hommes l’avait dit il y a longtemps.

    Les 4 méditénées

    La révolution agricole

    De Gaulle et les juifs

    De Gaulle et le dollar

    Comment ce fait’il que des gens de cette carrure soit absent de nos circuit de communication.

    Bonne lecture en ce 11 Septembre.

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  3. Michel Lalague

    Bonjour Emmanuel,
    je rentre de grece et je prends connaissance de ton blog.
    Sur le dernier article, que j’apprecie, il me semble que tu pourrais ajouter que nous vivons dans le temps de la « cupidité’ qui allie les deux PECHES CAPITAUX que sont l’avarice et l’envie.
    L’individualisme nous perdra.
    Amicalement
    Michel Lalague

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